VIVALDI : Gloria RV 589

VIVALDI : Gloria RV 589

Si des doutes persistent quant à la date de composition ( entre 1713 et 1719 ) (1)  la destination du GLORIA RV 589 est mieux documentée . A cette période le compositeur exerce par intérim la  fonction  de maestro di coro à l’Ospedale della Pieta (2) .
Surtout reconnu pour ses oeuvres instrumentales il remplace alors Gasparini, le titulaire en congé, et répond à ses nouvelles obligations de composer de la musique sacrée pour  le choeur féminin de l’institution .
Une partie du vaste corpus d’une cinquantaine d’opus a été retrouvée dont 2 gloria RV 588 et RV 589 , seule une partie de l’instrumentation d’un Gloria RV 590 subsiste .

Bien que partie de l’ordinaire de la messe le Gloria est ici conçu de manière autonome.
Vivaldi s’y révèle un habile architecte par sa façon d’ordonner chaque verset en 12 sections formant un tout cohérent et en alternant :

  • mouvements rapides et lents
  • succession des tonalités majeures et mineures : les 6 premiers numéros s’enchaînent en chute de tierces symbolisant peut-être la chute d’Adam opposée au Christ rédempteur
  • écritures homorythmiques et concertantes
  • succession des tutti et airs soli ( Ch+Ch+Sop+Ch+Sop+Ch+A+Ch+Ch+A+CH+CH )
    L’autre aspect particulier est l’UNITE de la composition .
    L’interconnection entre les sections s’articule autour d’un axe symétrique :
  • le choeur initial est repris en abrégé à la section 11 Quoniam solus
  • la tonalité de RE Majeur irradie les mouvements extrêmes en binaire et l’effectif complet dont la trompette souligne la gloire de Dieu le Père
  • les fugues (3) sont utilisées aux mouvements 2-5 et 7-12 avec passage du sujet simple au sujet double et une accélération rythmique de pesant n°2 Et in terra vers le vif allegro du Cum sancto n°12.

Ce gloria fut sans doute interprété à la pieta hors du contexte liturgique sous forme de concert.
La tradition était de le faire précéder d’une introduzione ( motet pour soliste ) mettant en évidence le talent de cantatrice d’une pensionnaire.
Huit introduzioni classées RV 635 à 642 ont été retrouvées . Par leur texte ( non liturgique ) et leur tonalité 2 choix sont possibles pour préluder au Gloria RV589 :

  • Longe Mala Umbrae terrores RV 640 ce motet pour contralto évoque les terreurs du monde pour appeler la venue en gloire du Sauveur
  • Ostro Pieta  RV 642 construit suivant la coupe ternaire habituelle à ce genre aria=récitatif=aria .   La gloire éphémère du monde est opposée à la gloire éternelle de la Vierge Marie .

(1) les manuscrits originaux se trouvent dans une édition d’opéra et dans celle de l’oratorio Judith triomphans datés de 1716 ce qui pourrait suggérer que l’oeuvre fut jouée à cette date pour célébrer la victoire de la Sérénissime sur les Ottomans à Corfou
(2) coro recouvre à la fois choeur et orchestre
(3) fugue au sens baroque d’entrées en imitation

Analyse Gloria  RV 589 Vivaldi

GLORIA :

en ouverture l’orchestre expose 2 motifs simples et énergiques l’un de sauts d’octaves à l’unisson puis un pentacorde descendant de doubles croches.
Le choeur entonne triomphalement le chant des anges sur un rythme pointé à la gloire de Dieu en contraste avec les valeurs longues de  « in excelcis » en chromatismes serrés.
Les cordes , trompette et hautbois s’unissent aux voix pour célébrer l’allégresse de la naissance du Christ

ET IN TERRA PAX

en contraste avec la lumière céleste de l’entrée le second mouvement plonge dans l’obscurité du relatif si m.
Le climat dramatique créé par la progression harmonique audacieuse et les entrées successives des voix sous-tend pourtant un texte apaisé «  paix sur terre aux hommes de bonne volonté ».
C’est la force de l’imploration que soulignent les entrées fléchissantes des violons telles des larmes.
Vivaldi insiste sur « bonae voluntatis » par les tremblements répétitifs des cordes et la bc qui souligne la conduite harmonique .

LAUDAMUS TE

Reprend de l’énergie avec un tonique allegro binaire en SOL M.
L’orchestre prélude le subtil et ingénu duo à la tierce des soprani soli en imitation avec les violons regroupés.
Le «  glorificamus te » conclut par de savoureux frottements pour laisser place à la ritournelle de l’orchestre

GRATIAS AGIMUS TIBI

Prélude en forme de plain-chant homorythmique en mi m.
La cadence suspensive de dominante appelant dans la conduite du texte au

PROPTER MAGNAM GLORIAM

C’est le centre de l’oeuvre.
L’écriture contrapuntique colla parte illustre par les vocalises la gloire de Dieu en Majesté.
Un 2ème motif module vers le majeur du Domine Deus.

DOMINE DEUS

Le hautbois obligato apporte sa sonorité pastorale au rythme ternaire de la sicilienne
La bc joue ostinato les intervalles.
Le dialogue en imitation avec la soprane soliste converge vers  les  mélodies superposées à la tierce.
La tonalité surprenante de DO M suggère l’apaisement du Dieu consolateur

DOMINE FILI

Les 8 mesures de l’orchestre encadrent le choeur sur des rythmes pointés inspirés du style français.
Les syncopes au violons s’entrechoquent avec le ternaire

DOMINE DEUS

La déploration pathétique de l’alto solo s’expose en phrases descendantes et chromatismes avec le seul soutien de la basse continue.
Choeur et orchestre psalmodient la prière en affirmant l’harmonie.
La basse continue réaffirme le thème initial et le pathétique ré m.

QUI TOLLIS PECCATA MUNDI

Rupture tonale audacieuse et même utilisation du triton banni diabolus in musica sur «  tollis ».
L’orchestre en  doublant les voix amplifie la supplique.

QUI SEDES AD DEXTERAM

Les ritournelles et marches harmoniques s’inspirent du style du concerto dont la voix d’alto est la soliste.
Le si m atténue un peu la légèreté du discours musical sensé évoquer la miséricorde divine

QUONIAM TU SOLUS SANCTUS

Version abrégée de l’ouverture Gloria qui aurait pu être la conclusion si la tradition  baroque n’appelait à terminer par une fugue.

CUM SANCTO SPIRITU

Le choeur introduit une double fugue majestueuse construite sur 2 sujets de caractères opposés.
Le 2ème s’impose progressivement pour conclure par un « Amen » traversé  par les rayons lumineux des  hautbois et trompette.
Cette section devait être appréciée car on la retrouve presque identique dans le gloria RV 588.
En fait pour la conclusion, Vivaldi s’est approprié une  fugue du compositeur  Giovanni Maria Ruggieri datée de 1708 (classée Gloria Ahn 23), la pratique de «  l’emprunt » retravaillé – le pasticcio – était courante à l’époque, Vivaldi condense en un seul choeur l’oeuvre originale à deux choeurs et accorde plus d’attention à la trompette.

Yves Wuyts